Résumé

par Gelydrihan
Présentation

L’imaginaire médiéval et mythologique dans l’œuvre de Tolkien,

mémoire de maîtrise en lettres modernes sous la direction du professeur A. Strubel (Paris X-Nanterre, 2001-2002)

L’introduction vise à familiariser le lecteur avec le sens très personnel que Tolkien donne aux termes imagination et mythe. La problématique générale est ensuite évoquée : la situation charnière du Moyen Âge dans le rapport de l’occident aux mythes inspire nécessairement cet écrivain à la fois fervent catholique et connaisseur admiratif de la culture païenne de l’Europe du Nord.

Le travail se découpe en trois parties principales. La première s’attache à présenter la relation de Tolkien au fonds médiéval qui influença sa création littéraire. J’y évoque tout d’abord les raisons pour lesquelles l’imaginaire, avec Spenser et la Renaissance élisabéthaine prend un tour qui ne lui correspond absolument pas : l’imaginaire – et l’ailleurs avec lui – sont désacralisés, parfois infantilisé (l’usage shakespearien du terme « faeries ») au profit d’un regard uniquement centré sur l’homme. La littérature médiévale (lais féeriques, romans arthuriens, poèmes eddiques…) constitue donc l’ultime période où l’imaginaire possède une noblesse intrinsèque.

Après un bref rappel de ce que doit la « population féerique » de la Terre du Milieu à divers peuples mythiques et personnage majeurs de la littérature médiévale (islandaise, galloise, anglo-saxonne…) sans oublier ce qui l’en différencie, je m’attache à démonter l’idée préconçue d’une filiation directe entre la littérature courtoise du Moyen Âge et le traitement de l’amour, de « l’imaginaire amoureux » dans les contes tolkieniens.

Enfin, cette partie s’achève sur une étude de l’intertextualité entre le poème Beowulf et certains passages de Bilbo le Hobbit ou du Seigneur des Anneaux. Cette étude est bien entendue très loin de l’exhaustivité tant Tolkien a truffé ses propres textes d’allusions et de réécritures du grand poème épique anglo-saxon.

La seconde partie (« Mythopoeia : méthode, structures et traditions ») se concentre sur le processus de création du mythe chez Tolkien. J’y évoque le rôle primordial de jeux philologiques (qui sont presque toujours à l’origine du mouvement de la création, de l’imaginaire, chez notre auteur) ainsi que la recherche constante d’un pont entre l’histoire et la légende. Le concept qui est l’origine du Silmarillion et par extension de tous les textes concernant la Terre du Milieu, celui d’une mythologie pour l’Angleterre, y est explicité par des exemples concrets.

Ensuite, j’évoque quelques unes des nombreuses traces typiquement indo-européennes en Terre du Milieu et à Valinor (le problème de la terre « gaste »et de la fonction royale ; l’héritage de l’« archétype » Loki et ses limites ; et une interrogation sur la théorie de F. Munier concernant une tripartition dumézilienne chez les elfes). [J’ai révisé, corrigé et développé cette section dans un essai ultérieur.]

La dernière partie veut souligner l’importance du catholicisme de Tolkien dans sa création littéraire (il nomme d’ailleurs cette dernière « sub-création », pour une raison évidente, liée à sa foi). Son regard sur la mythologie se situe à l’opposé de Max Müller, car bien loin d’y voir une « maladie du langage », il y perçoit des éléments – certes altérés – de la vérité chrétienne. Aussi, l’influence scandinave se retrouve intégrée dans une perspective plus grande, à la manière des écrivains du Moyen Âge relisant les fables païennes à la lumière des Evangiles. J’illustre cette idée en évoquant quelques personnages majeurs des œuvres de Tolkien : Gandalf, Aragorn, Frodo, dans le Seigneur des Anneaux ; Eärendil dans le Silmarillion ; tous, d’une manière ou d’une autre, précurseurs de la vérité chrétienne. Une présentation du texte majeur Athrabeth Finrod Ah Andreth – malheureusement inaccessible au lecteur francophone –prouve définitivement la nécessité de placer la Terre du Milieu dans une lecture chrétienne.

Une étude du « panthéon » tolkienien montre ensuite la coexistence de diverses interprétations structurelles de sa mythologie. On y trouve, certes le thème chrétien de l’ange rebelle et de la chute mais également une organisation des principaux Valar autour des quatre éléments, des traits clairement inspirés de dieux scandinave et une eschatologie qui doit autant au ragnarök de la Völuspa qu’à l’Apocalypse de Jean.

La dernière sous-partie, au contraire, évoque les heurts entre valeurs chrétiennes et scandinaves dans le long texte Narn î chin Hurin. Alors que le dragon Glaurung tient de Fafnir et du Serpent chrétien, le personnage de Turin semble davantage porteur d’un héroïsme proprement germanique, pour qui les valeurs héroïques chrétiennes (en particulier celle du pardon) sont inaccessibles. Cependant, l’auteur laisse volontairement planer le doute sur la valeur de ce type d’héroïsme, y compris dans la conception germanique – à cause du rapport profane du personnage au Destin.

La conclusion souligne le développement dans tout le légendaire, en filigrane, de ce que j’ai nommé le « syncrétisme tolkienien » et qui fait de la Terre du Milieu un monde combinant valeurs scandinaves païennes et valeurs chrétiennes. Les définitions du mythe selon Andrew Lang et Mircea Eliade sont ici rappelées pour montrer en quoi celle de Tolkien s’y oppose et trouve un sens qui tout en l’altérant inévitablement, n’exclue pas la religion, et donc la vérité.

Laurent Alibert

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