Le Seigneur des Anneaux est une œuvre croisée, en ce sens qu’elle emprunte à diverses influences, telles que les mythologies et les œuvres d’inspiration arthuriennes. Mais il ne faudrait pas réduire l’ouvrage de Tolkien à une simple reprise de la matière culturelle, et le considérer comme un pastiche des romans médiévaux ou des grands mythes. Si les influences mythologiques et chevaleresques émergent dans Le Seigneur des Anneaux, elles sont absorbées et transformées par Tolkien, selon le principe de la chaîne aimantée. C’est l’une des raisons pour lesquelles Le Seigneur des Anneaux est un ouvrage si difficile à définir, car il est au croisement de multiples genres, devenant lui-même l’emblème d’un nouveau courant littéraire. La richesse de cette oeuvre est liée à sa construction qui ressemble à celle d’une “cathédrale”, pour reprendre l’expression de Proust sur La Recherche du temps perdu, étant en effet issue de “fondations” hétéroclites dont l’alliance forme un monument littéraire. Il n’est donc pas étonnant que Tolkien lui-même n’ait pu définir son oeuvre sous une seule et unique appellation. Il employait le terme d’“heroic romance” ou d’“épopée” pour en désigner certains aspects, par opposition à “novel”, “le monde dépeint par lui étant imaginaire” [1]. Cependant, Le Seigneur des Anneaux ne s’inscrit pas totalement dans le genre du “romance” [2], de même que pour l’épopée :
“[Le mot romance] désigne un récit d’avenutres imaginaires, héroïques et mystérieuses” [3], “où l’amour et les faits d’armes (quêtes, combats), occupent une place centrale. […] [Mais le] traitement de l’espace et du temps [du Seigneur des Anneaux n’est pas] celui des romances traditionnels.” [4]
“L’épopée, long poème narratif, célèbre […] un héros ou un haut fait, une action héroïque, en mêlant la légende à l’Histoire, le merveilleux et la vérité. (l’Iliade, l’Odyssée, Gilgames, l’Énéide, Beowulf, la Chanson de Roland…) [5]. [Pour Le Seigneur des Anneaux cependant], si le style est parfois élevé, ce n’est pas constant, et de nombreux traits stylistiques de l’épopée – dont les comparaisons – sont absents de ce texte en prose” [6].
Le Seigneur des Anneaux emprunte donc des aspects au “romance” et à “l’épopée”, tout en les entremêlant, ce qui participe de son originalité et de sa complexité. La dimension mythologique de l’ouvrage prend tout son sens dans cet univers où sont combinés ces deux genres (“romance” et “épopée”), dans la mesure où elle est présente dans les récits antiques, qu’ils soient mythologiques ou médiévaux, et qu’elle est remaniée et revisitée par Tolkien. C’est la raison pour laquelle Le Seigneur des Anneaux est une œuvre novatrice, parce qu’elle emprunte et transforme une matière culturelle pour la faire sienne. Sa position charnière entre les genres fait de ce livre un ouvrage dont la définition comprend à la fois celle d’une épopée arthurienne et d’un essai (en tant qu’expérience de travail) sur les mythologies. C’est dans cette perspective que nous axerons notre étude sur Le Seigneur des Anneaux comme oeuvre d’inspiration arthurienne, puis comme oeuvre empreinte de matière mythologique, afin d’analyser la dimension de l’écriture.
[1] FERRÉ Vincent, Tolkien : sur les rivages de la terre du milieu, Christian Bourgois éditeur, 2001, p.88.
[2] “Brewer, qui considère les romans antiques comme des romances et non des novels évoque les liens qu’ils entretiennent avec la mythologie et les cultes religieux.” Ibid., p.113, note 10.
[3] FERNANDEZ Irène, Et si on parlait… du Seigneur des Anneaux. Le sens caché de l’œuvre de Tolkien, Paris, Presses de la Renaissance, 2002, p.13.
[4] FERRÉ Vincent, Tolkien : sur les rivages de la terre du milieu, op. cit., p. 88. Voir aussi : “[…] [Le Seigneur des Anneaux s’inscrit] dans la tradition des récits médiévaux français des XIIème et XIIIème siècles et de leurs successeurs, dont Le Morte d’Arthur (1485) de Malory et Sire Gauvain et le chevalier vert en Angleterre, texte que Tolkien connaissait parfaitement. […] L’étude du Seigneur des Anneaux montre qu’il appartient effectivement à cette catégorie de récits, que D.S. Brewer rapproche en particulier des mythes.” Ibid., p.88.
[5] “Chez Tolkien, les exploits des protagonistes décident effectivement du sort de peuples entiers et permettent l’avènement de l’homme, grâce à l’aide (indirecte) de “dieux”, dans un vaste décor”. Ibid., p. 88.
[6] Ibid., p.88.