Le Livre Rouge

par Gelydrihan

 

« Le Livre Rouge et Le Seigneur des Anneaux de Tolkien : une fantastique incertitude » (CERLI, 2000)

Présentée en mars 2000 lors du colloque du Centre de Recherche sur la Littérature de l’Imaginaire (CERLI) consacré au « Livre dans la littérature fantastique et dans les œuvres de Science-Fiction », cette communication proposait certaines analyses sur la Fantasy défendues dans le manuscrit de Tolkien. Sur les rivages de la Terre du Milieu.

Il s’agissait, un an avant la publication (encore très hypothétique) de cet essai, de les confronter à l’opinion d’autres lecteurs, spécialistes des littératures de l’imaginaire. Qu’ils soient ici remerciés.

Cette communication complète donc les Rivages : elle s’en distingue par un ton et une méthode nettement plus « universitaires » ; d’autre part, ces analyses ont été modifiées au cours des mois suivants et, surtout, la perspective retenue est différente.

Alors que les Rivages (chapitre III, « Fantasy et fiction ») insistent sur la vraisemblance du Seigneur des Anneaux, pour des raisons de clarté et de simplicité, le présent article montre qu’il est nécessaire de nuancer fortement cette thèse, et que le dispositif fictionnel du Seigneur des Anneaux est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, finissant par « miner » la vraisemblance. Cette affirmation, qui va à l’encontre des analyses habituelles sur J.R.R. Tolkien, n’est présente dans les Rivages que dans les notes, pour ne pas inquiéter le lecteur qui découvre Le Seigneur des Anneaux … elle méritait peut-être davantage de place, ce qui est désormais le cas.

Pour toute question ou réaction, vous pouvez me contacter à cette adresse : ferretolk@hotmail.com

N.B. : cet article restera en ligne jusqu’à ce que les actes du colloque 2000 du CERLI soient publiés.


« Le Livre Rouge et Le Seigneur des Anneaux de Tolkien : une fantastique incertitude »

Le Seigneur des Anneaux, l’œuvre majeure de Tolkien, relate, on le sait, une aventure marquée par le merveilleux ; mais il rapporte aussi l’histoire du Livre Rouge, où le protagoniste consigne les péripéties qu’il a vécues.

C’est à la présence de ce livre à l’intérieur d’une œuvre, à cette mise en abyme, que l’on s’intéressera ici, en examinant d’abord la genèse fictive du texte, l’évocation de sa matérialité et sa dimension réflexive – la quête est une histoire, ce qui justifie sa mise par écrit. Mais l’on interrogera surtout le rapport entre les deux livres, qui révèle une incertitude, une fragilité dans le discours du Seigneur des Anneaux, qui présente apparemment le Livre Rouge comme un document historique authentique, mais – dans le même temps – remet en cause ce discours, ce qu’oublie trop souvent le lecteur ; cela nous amènera à dégager une interrogation sur le rôle de la littérature et ses limites propre à Tolkien, autour des questions de la vérité et de la fiction [1].

I. La genèse du texte fictif

Il faut distinguer la rédaction du Seigneur des Anneaux, texte écrit par Tolkien entre 1937 et 1949, puis remanié avant sa publication en 1954-1955 (la seconde édition anglaise date de 1966) et celle du Livre Rouge, fictivement composé par deux personnages du récit (Bilbo et Frodo), censé servir de source au Seigneur des Anneaux et mentionné dès la première page du prologue [2] : celui-ci indique que Bilbo le Hobbit est une publication partielle d’un manuscrit, le Livre Rouge, Le Seigneur des Anneaux s’inscrivant dans la continuité de cette parution en se fondant sur les chapitres suivants du même Livre. On peut d’ailleurs noter que, si celui-ci est évoqué dans Le Seigneur des Anneaux, un texte ultérieur de Tolkien, Les Aventures de Tom Bombadil (1961), donne une autre image de cette œuvre, qui contient des poèmes sur des « feuilles volantes », dans les « marges » ou les « espaces » [3], ce redoublement jouant (dans quelle mesure ?) un rôle de confirmation : si l’on accepte cette fiction, le Livre Rouge est bien réel et se trouve à l’origine de Tom Bombadil, du Hobbit et du Seigneur des Anneaux.

Le lecteur peut bien sûr ne pas accepter son existence et l’opposer aux livres auxquels réfèrent les Appendices et qui peuvent être rapprochés de textes publiés après la mort de l’auteur dans Le Silmarillion [4] ou dans les manuscrits édités par Christopher Tolkien sous le nom de « The History of Middle-Earth » [5], textes fictionnels mais réellement écrits par Tolkien. Sans prendre en compte les références intertextuelles à ces œuvres, ce qui élargirait trop notre propos, on s’attachera ici au Livre Rouge, qui possède bien un statut privilégié dans le dispositif fictionnel du Seigneur des Anneaux.

Celui-ci nous fait suivre la naissance du Livre Rouge, qu’il présente à la fin de l’aventure de l’Anneau : le lecteur du Hobbit et du Seigneur des Anneaux accompagne les personnages jusqu’à ce qu’ils commencent à rédiger leurs souvenirs, une fois leurs quêtes respectives achevées – le moment de l’écriture étant intégré à la diégèse. Dans le Hobbit [6] et le début du Seigneur des Anneaux, le Livre Rouge est le journal de Bilbo, qu’il n’a pas achevé soixante-dix ans après les péripéties qu’il y relate, puisqu’il y travaille encore à Fondcombe [7] ; mais lorsque Frodo passe au premier plan, des chapitres doivent être ajoutés pour raconter ses aventures, Bilbo demandant en outre à son héritier de rapporter « toutes les nouvelles […] et toutes les vieilles chansons et les histoires qu’[il pourra] récolter » [8]. S’annonce ainsi un « second volume », que Frodo finit par écrire (remplaçant Bilbo dans cette fonction après lui avoir succédé comme possesseur de l’Anneau) à partir des « notes », des « papiers » et du « journal » [9] de Bilbo, de sa propre aventure et des récits de ses compagnons.

La mise par écrit est préparée par de nombreux indices, qui désignent le récit comme fictionnel, comme une « histoire », « story » ou « tale ». Ainsi, Bilbo se félicite d’avoir entendu les « chapitres de [leur] histoire » que Frodo a vécus [10] (celui-ci emploie d’ailleurs le même terme lorsqu’il compare ses souvenirs à un « chapitre » [11]) et considère que « quelqu’un d’autre doit poursuivre l’histoire » [12] ; tale est utilisé par Pippin [13], mais surtout par Sam, qui se perçoit au milieu d’une « histoire » comparable à celles d’Eärendil et des Silmarils (on note une répétition marquée du terme en quelques lignes [14]), « histoire » qui deviendra peut-être un récit : elle pourrait être « mise en paroles, pour être racontée au coin du feu ou lue dans un gros livre » [15]. Cette dernière remarque découle logiquement de l’analogie établie avec des récits des Ages antérieurs, eux-mêmes connus sous forme de chants, d’histoires, d’allusions aux traductions de l’elfique auxquelles travaille Bilbo à Fondcombe… et, pour le lecteur, de chapitres du Silmarillion après sa parution en 1977 : les personnages se placent donc dans une tradition littéraireorale et écrite, et il est notable qu’ils emploient les mots (tale et story) par lesquels Tolkien désigne son récit dans sa correspondance.

On trouverait même des emblèmes de cette œuvre dans le miroir de Galadriel (qui représente le passé, le présent et les possibles narratifs [16]) ainsi que dans le Palantir, qui permet de contempler le passé et de « relire » les chapitres de l’histoire de la Terre du Milieu. On peut également voir dans la pratique de l’intertextualité (omniprésente) une preuve que le récit revendique son statut fictionnel en se mettant sous le patronage de textes antérieurs, comme Beowulf ou le théâtre shakespearien, et en renvoyant à d’autres œuvres de l’auteur ; de même, le procédé de construction du récit, l’entrelacement, est désigné par de nombreux indices qui évoquent la trame du texte. Ce sont autant de signes perceptibles par le lecteur qui confirment que l’on se trouve devant un dispositif métafictionnel, qui prend la forme d’une mise en abyme [17].

Venons-en en effet à l’aperçu du Livre Rouge que donne le dernier chapitre du Seigneur des Anneaux :

[…] il y avait un grand livre relié de simple cuir rouge ; les hautes pages étaient à présent presque entièrement remplies. Il y avait au début de nombreuses feuilles couvertes de la main vagabonde de Bilbo ; mais la plus grande partie était de l’écriture ferme et aisée de Frodo. L’ouvrage était divisé en chapitres, mais le chapitre 80 était inachevé, et il était suivi de quelques pages blanches. La page de titre portait maints titres, rayés l’un après l’autre, tels que :

Mon Journal, Mon Voyage inattendu. Aller et retour. Et ce qui se passa après.

Aventures de cinq Hobbits. L’Histoire du Grand Anneau, composée par Bilbo Sacquet d’après ses propres observations et les récits de ses amis. Notre action dans la Guerre de l’Anneau.

A cet endroit, l’écriture de Bilbo s’arrêtait, et Frodo avait écrit :

LA CHUTE
DU
SEIGNEUR DES ANNEAUX

ET LE
RETOUR DU ROI

(tels que les ont vus les Petites Personnes ; ou mémoires de Bilbo et Frodo de la Comté, complétés par les récits de leurs amis et l’érudition du Sage) [18]

L’aspect du Livre qui n’était jusqu’alors qu’« un manuscrit relié de cuir » [19] se précise, les souhaits [20] des héros prennent finalement forme, sans qu’il soit toutefois possible d’en dégager une image claire. On note les références à la matérialité du texte (sa couleur, sa reliure), à son format (sa taille, le nombre de chapitres) et à ses auteurs – avec des précisions sur la longueur des deux récits et la mention répétée des écritures manuscrites. L’indication du prologue que nous avons signalée prend alors tout son sens, puisque le Hobbit y est présenté comme « les premiers chapitres du Livre Rouge composé par Bilbo lui-même », sections qui portaient un titre, « Aller et retour » [21]. C’est bien lui qu’on retrouve ici, au milieu de plusieurs autres.

Mais le lecteur peut justement être surpris par cette multiplicité de titres et leurs différences. Normalement, les hésitations sur le titre ne sont pas inscrites sur le volume [22], elles appartiennent à sa gestation ; si elles se trouvent mentionnées ici, il s’agit d’un choix de Tolkien. Certains titres précisent le contenu ou le genre de l’écrit : dans le premier cas, on rangera le « Voyage inattendu », l’« Aller et retour. Et ce qui se passa après », les « Aventures… » (qui renvoient au Hobbit), ainsi que « LA CHUTE/ DU/ SEIGNEUR DES ANNEAUX/ ET LE/ RETOURDU ROI ». Les autres ont valeur d’indications génériques, qui ne sont pas équivalentes (« journal », « mémoires » [23]) et s’opposent peut-être : les termes « tale[…] compiled » (« histoire[…] composée ») évoquent en effet un récit dont la vérité est mise en doute (tale) – d’autant qu’il s’agit ici d’« aventures » – mais également un texte au contraire « historique », conforme à la vérité des faits (il faut en effet comprendre compiled dans la logique du Seigneur des Anneaux) [24].

Frodo choisit bien un titre unique qui reprend, grâce à sa longueur, des éléments des tentatives précédentes (« anneau », « amis »), de même que le Livre Rouge incorpore désormais le Hobbit dans un ensemble plus long ; mais la pluralité et la diversité des titres, très visibles, n’en provoquent pas moins chez le lecteur une hésitation sur la nature du texte, déjà suscitée par le constat, au fil du récit, d’une tension entre vérité et merveilleux [25]. Tout titre suggère bien sûr une certaine interprétation ou réception du livre, et la diversité observable ici semble bien la preuve d’une hétérogénéité du volume, de son instabilité (il ne peut être réuni sous une appellation unique) et constitue une invitation à une multiplicité de lectures : le contrat générique qu’implique apparemment l’appellation retenue est en fait rendu moins lisible par de nombreux indices discordants.

Pour essayer de préciser cette remarque, nous allons repartir d’un constat : l’inclusion du Livre Rouge dans Le Seigneur des Anneaux montre, bien sûr, que les deux textes ne possèdent pas le même statut. Est-il possible de caractériser leur relation ?

II. Sources fictives et miroir déformant

Si le narrateur du Seigneur des Anneaux mentionne une tradition orale (des chants, des récits) et des documents secondaires, telles les archives naines que découvrent les Compagnons dans la Moria (le livre de Mazarboul) [26], ainsi que des manuscrits trouvés en Gondor [27] ou le « livre des jours anciens » dont est tirée l’histoire d’Aragorn et Arwen [28], ce sont surtout des écrits hobbits qui constituent ses références fictives. Ils apportent par exemple des précisions sur le calendrier elfique [29], la langue des Ents [30], le peuple nain [31], sans que la source soit d’ailleurs toujours citée ; on relève cependant un cas intéressant, outre celui du Livre Rouge [32] : il s’agit de l’Herbier de la Comté, texte attribué à Merry (un des compagnons de Frodo), qui présente l’herbe que fument les Hobbits comme une invention de ce peuple, lui-même créé, on le sait, par Tolkien. L’intérêt réside dans le jeu intertextuel, qui inverse la temporalité : le prologue donne un extrait de cet Herbier [33] (qui n’existe donc pas uniquement sous la forme d’un titre), censément rédigé par Merry après le dénouement de la quête, mais que le personnage « cite » littéralement quelques centaines de pages après le prologue, et quelques mois avant de l’écrire [34] : l’ordre de la lecture contredit la chronologie du récit, qui est ainsi discrètement (puisqu’il faut que le lecteur rapproche les deux passages, éloignés l’un de l’autre) dénoncé comme fictionnel – cette mise en évidence de la fiction par une mise en abyme (avec reprise textuelle) est, en outre, sans doute redoublée par une allusion parodique à la Chanson de Roland [35].

Il serait possible évoquer d’autres sources pour montrer la richesse du procédé, mais l’on reviendra ici au Livre Rouge, dont le narrateur du Seigneur des Anneaux prétend, nous l’avons dit, s’être servi pour rédiger sa propre œuvre. Tolkien invente une tradition manuscrite partie du journal de Bilbo, complété par Frodo et copié en plusieurs exemplaires, chacun portant des annotations et des ajouts :

Le présent récit de la fin du Tiers Age est tiré en majeure partie du Livre Rouge de la Marche de l’Ouest.Cette principale source […] était à l’origine le journal personnel de Bilbo, qu’il emporta avec lui à Fondcombe. Frodo le rapporta dans la Comté en même temps que de nombreuses feuilles de notes volantes, et au cours de DC 1420-21, il en remplit presque entièrement les pages de son récit de la guerre […]. A ces quatre volumes en fut ajouté, dans la Marche de l’Ouest, un cinquième contenant des commentaires, des généalogies et divers autres éléments au sujet des membres hobbits de la Communauté. Le Livre Rouge original ne fut pas conservé, mais de nombreuses copies en furent faites. [36]

On en doit ainsi aux Belenfant, dépositaires du Livre Rouge de la Marche de l’Ouest [37] ; et la copie conservée aux Grands Smials (Great Smials) a été faite en Gondor (par Findegil [38]) à partir du « Livre du Thain », qui constitue lui-même la première copie du Livre Rouge [39] – dont le nom rappelle un célèbre texte gallois, le Livre Rouge de Hergest [40]. Le Livre Rouge ne se limite donc pas à diverses allusions au fil du texte, mais possède une « réalité » plus tangible, puisque reproduite dans Le Seigneur des Anneaux. C’est ce texte (parvenu jusqu’à nous grâce à ces copies) qu’un éditeur prétend présenter et traduire en anglais moderne, comme on le comprend dès le prologue et ainsi que le confirment les Appendices : « en transcrivant les anciens manuscrits[…] » [41], « Les Autorités diffèrent […] sur le point de savoir […] » [42]. Il s’agit de le rendre lisible pour des lecteurs d’aujourd’hui [43] en transposant les noms, les langages, et jusqu’aux jours de la semaine, afin d’aider le lecteur à suivre la chronologie. Dans le cas des Appendices, il a également sélectionné, abrégé, et signalé les strates des textes par différents signes (guillemets, notes, crochets) [44], à la manière de certaines éditions de textes médiévaux – rappelons que l’on doit à Tolkien, la publication d’un Sire Gauvain et le Chevalier vert [45] et d’Ancrene Wisse [46] : il est donc familier de ce genre de pratiques, qu’il détourne ici [47].

On comprend alors pourquoi le lecteur ne retient souvent du Seigneur des Anneaux que cet aspect « historique », authentique et sérieux, extrêmement cohérent, cette affirmation qu’il dit la vérité ; or nous allons voir qu’il faut fortement nuancer cette impression. On peut commencer par se demander dans quelle mesure l’éditeur a modifié la forme de ce texte et quel est le degré exact de fidélité du Seigneur des Anneaux par rapport à sa source fictive. De nombreux éléments narratifs sont repris, mais nous sommes invités à penser qu’il ne s’agit pas d’une simple copie et qu’il y a bien eu remaniement : non seulement le Livre Rouge est fictivement dédoublé dans sa publication, puisque réparti entre Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux, mais sa genèse est mise en scène (le caractère fictionnel de l’œuvre est ainsi souligné [48]) et les titres des deux livres diffèrent, ce qui indique bien l’écart entre les récits. Qu’est-ce que « Le Seigneur des Anneaux » en effet, sinon un emprunt partiel au titre « LA CHUTE/ DU/ SEIGNEUR DES ANNEAUX/ ET LE/ RETOURDU ROI », dont la fin (Le Retour du roi) regroupe les Livres V et VI ? Le récit se distingue ici d’autres livres, qui intègrent une œuvre dont ils partagent le titre, sans que l’on sache bien à quel texte celui-ci se rapporte [49].

On peut donc déjà observer que la mise en abyme du Livre Rouge dans Le Seigneur des Anneaux n’est pas une réduplication à l’identique, et c’est même cette différence qui laisse ouvert le sens de l’œuvre : le texte mis en abyme n’étant pas développé (il se réduit à une page), il ne vient pas se superposer au récit enchâssant, ce qui suggérerait une seule lecture. Enfin, s’il y a clairement mise en abyme de l’aventure de Frodo (racontée par le Livre Rouge comme par Le Seigneur des Anneaux), il ne faut pas négliger la mise en abyme de la production et de la réception du texte, destiné à être lu par Sam puis transmis à ses héritiers. Il est d’ailleurs notable que Sam, lorsque Frodo le lui remet, ne compare pas l’ouvrage aux aventures qu’ils ont vécues, mais que ce travail d’interprétation est laissé au lecteur.

La remarque que nous venons de faire sur le titre des deux œuvres est malheureusement une des seules certitudes que nous puissions avoir, parce qu’il n’est pas possible de trouver dans le texte d’autres indications sur leur lien. Si l’on excepte un passage de l’avant-propos de 1954 qui présente cette œuvre comme une transcription du Livre Rouge plus fidèle que le Hobbit [50], mais qui est peu utilisable et disparaît en 1966, le texte du Seigneur des Anneaux ne donne aucune indication sur les modifications effectuées par l’éditeur à partir des pages attribuées à Frodo.

Le lecteur ne lit pas directement l’œuvre originelle (sa page de titre est le seul élément présent dans Le Seigneur des Anneaux), dont on ne connaît ni la structure réelle (à part l’indication du nombre de chapitres), ni même le type de narration : Bilbo a certainement écrit son journal à la première personne, tandis que le narrateur omniscient du Seigneur des Anneaux reformule à la troisième personne le récit de Frodo, qui lui-même reprend ses aventures et les récits de ses amis. On ne peut que proposer quelques conjectures, forcément insatisfaisantes : ainsi, la transformation ne porte sans doute pas sur la position du narrateur, puisque les notes que prend Bilbo sur les aventures de Frodo au Livre II se trouvent dans la continuité de son journal ; les premières pages de la seconde partie du Livre Rouge sont donc sans doute écrites à la première personne, par un narrateur qui fait de Frodo un acteur à la troisième personne, comme dans Le Seigneur des Anneaux ; mais le narrateur omniscient (qui s’implique peu dans le récit) et Bilbo n’ont certainement pas le même style, ni la même relation aux protagonistes et à l’aventure.

Toutefois, ce récit contient, outre les soixante-deux chapitres relatant la Quête de l’Anneau, un poème liminaire, un prologue, des cartes, des Appendices (avec chronologies et arbres généalogiques), des index, ainsi qu’un avant-propos (dans l’édition anglaise). Ces éléments, que l’on trouve d’ordinaire plutôt dans des textes didactiques, méritent une attention particulière lorsqu’ils apparaissent dans une œuvre de fiction, et il nous semble important de nous attacher à présent au paratexte pour essayer de trouver une réponse à nos interrogations. A première vue, une distinction semble possible entre le paratexte qui ne peut être attribué qu’à l’auteur réel (Tolkien) et celui qui se présente comme appartenant au Livre Rouge. Qu’en est-il exactement ?

L’avant-propos (foreword) de la seconde édition anglaise (1966), outre qu’il refuse une lecture allégorique du Seigneur des Anneaux, souligne la difficulté de sa genèse, dont il expose les étapes ; il met également en avant les motifs qui ont amené Tolkien à composer un texte qu’il revendique clairement, sans chercher à l’attribuer à un autre auteur, et dont il désigne le caractère fictionnel : la différence est donc nette avec l’avant-propos de 1954, qui faisait mine de croire en l’existence, de nos jours, de Hobbits, et présentait le texte comme une traduction du Livre Rouge [51]. Tolkien le critique d’ailleurs dans une note que porte un de ses exemplaires – « Mélanger (comme il le fait) les questions personnelles réelles avec la “machinerie” du Conte est une grave erreur » [52] – et le remanie en 1966, la nouvelle version distinguant l’avant-propos auctorial d’une part, le texte ainsi que les parties du paratexte appartenant fictivement au Livre Rouge, de l’autre. Cette évolution est très importante, puisqu’elle affecte le statut du Livre Rouge.

Contrastant avec l’avant-propos, le prologue installe au contraire la fiction d’un texte qui remonte à des milliers d’années avant notre ère et qui a été glosé par des commentateurs anciens, que reprennent les Appendices. L’auteur, très présent dans l’avant-propos par le jeu des pronoms et des indications autobiographiques, se fait discret ici : en lieu et place de la première personne on trouve « ce livre » ou « cette histoire » ainsi que des tournures passives [53] ou un « nous » général qui renvoie à tous les hommes – ; enfin, les étapes de la genèse réelle du Seigneur des Anneaux sont remplacées par des indications sur la source fictive. Implicitement, puisque Tolkien ne dément pas ouvertement avoir écrit ce texte, mais le rapporte à un autre, – et ce fait est intéressant, parce qu’il va dans le sens de l’incertitude, qui apparaît bien si l’on compare ce prologue au paratexte du Nom de la rose ou de La Vie de Marianne, par exemple [54] -, le prologue vient donc contredire les premiers éléments du paratexte (page de titre, avant-propos) en attribuant l’édition du Seigneur des Anneaux à une figure anonyme (le paratexte n’est pas signé, contrairement à d’autres livres) qui peut emprunter certains traits à Tolkien, par défaut ; cette simulation d’une préface allographe – présentée comme celle d’un éditeur anonyme, et non celle de l’auteur réel – nous introduit à l’histoire de l’Anneau, fictivement autographe (de la main de l’éditeur) mais d’origine allographe là encore, puisqu’écrite par des acteurs du récit, donc encore plus éloignée de Tolkien. Ces deux étapes successives séparent le texte de lui et nous préparent à entrer dans la fiction par un prologue déjà fictionnel, qui présente, de plus, une fiction (celle du Livre Rouge) ainsi que l’univers de la Terre du Milieu, lui donnant un « récit cadre » [55].

Pourtant, le prologue sape lui même cette apparence, en n’allant pas jusqu’au bout de la démarche d’accréditation : des précisions sur la façon dont l’éditeur est entré en possession de la source font partie de l’horizon d’attente des lecteurs de ce type de préface (on pense à La Nausée, au Roman de la momie, aux Trois Mousquetaires, au Nom de la rose, à La Vie de Marianne, etc., pour citer des exemples célèbres de siècles et de domaines linguistiques divers) ; or ce prologue ne l’indique pas, se contentant d’expliquer comment les copies du Livre Rouge sont parvenues jusqu’à notre époque, alors que Tolkien le fait dans d’autres textes fictionnels comme The Notion Club Papers [56], ou dans sa conférence sur Finn and Hengest, qui précise d’entrée les circonstances de la découverte d’un fragment d’un poème en anglo-saxon par G. Hickes [57] ; il ne donne non plus aucune indication sur la structure du manuscrit : si l’éditeur l’a traduit et adapté, l’éditeur a-t-il également recomposé le Livre Rouge, dont au moins le début se présente comme un journal, donc un écrit dont la forme est différente du récit très construit que nous lisons dans Le Seigneur des Anneaux ? Ces omissions, très frappantes, ne sont-elle pas un moyen pour désigner le caractère fictionnel du récit et miner le discours du prologue ? Il serait certes indirect, mais on sait que Tolkien affectionne ce genre de procédé [58].

On ne s’étendra pas sur le cas des Appendices qui soulèvent des questions similaires, même s’ils paraissent pouvoir être attribués au Livre Rouge, donc servir sa fiction, à en croire des indications éparses, comme le début des Appendices [59] qui renvoie à la note sur les archives de la Comté, ou une allusion au volume rassemblant « des commentaires, des généalogies et divers autres éléments au sujet des membres hobbits de la Communauté » [60] qui correspond (au moins dans cette description très vague) aux Appendices C et D, tandis que l’Appendice A contient une partie de l’histoire d’Aragorn et Arwen qui provient du « livre des jours anciens » [61] – les Appendices fonctionnent ainsi comme ces « annotations » [62] qui complétaient le Livre du Thain.

Par ailleurs, il n’est pas possible de faire la part entre les versions du Livre Rouge utilisés par l’éditeur fictif du Seigneur des Anneaux, de distinguer les strates du texte ou d’attribuer tel passage à une copie particulière : il faudrait pour cela une édition critique ; de plus, l’ensemble des Appendices n’est pas attribué de cette manière, et leur caractère fragmentaire rend ce problème plus délicat que pour le prologue, entièrement rédigé et homogène : l’appendice B reprend par exemple l’Histoire des Années (Tale of the Years [63]) -, et l’Appendice A renvoie au Silmarillion ; en outre, les indications qui désignent les Appendices comme des textes appartenant aux copies du Livre Rouge ne sont pas exemptes d’incertitude, puisqu’elles sont souvent assez vagues et modalisées (« sans doute », « la plupart »). Enfin, l’avant-propos de 1966 est là encore très en retrait par rapport à celui de 1954, qui les considérait comme authentiques [64], puisqu’il est beaucoup plus bref (il ne consacre que trois lignes à ce sujet) et renonce à leur aspect fictif [65].

Nous sommes donc, dans le cas du texte et du paratexte, devant une réelle incertitude, une impossibilité de trancher. Le Livre Rouge est certes présenté par endroits comme authentique, par la mention de sources, d’une histoire des copies et par le discours historique tenu par le prologue. Mais d’autres passages contestent l’existence de ce Livre : la pluralité des titres présents dans la page citée à la fin du Seigneur des Anneaux (comme la mise en abyme elle-même) témoigne de la tension entre réalité et fiction et désigne l’hétérogénéité du texte, redoublée par la difficile conciliation entre le texte et le paratexte [66], celui-ci apparaissant en outre divisé entre paratexte « sérieux » et fictionnel ; ce dernier, enfin, est affaibli puisque Tolkien ne va pas, volontairement, jusqu’au bout, préférant rester imprécis quant aux circonstances de la découverte de la source, à l’identité du traducteur-éditeur et à son travail de transposition (quelles parties ont été utilisées [67] ? Quelles modifications ont été apportées ?).

On peut ajouter quelques suppositions, et voir des indices encore plus frappants, comme cette page de titre du manuscrit de Frodo qui paraît bien anachronique [68], ou le fait que le Livre Rouge est censé avoir été écrit longtemps avant notre ère (six à sept mille ans, précisent ses lettres), avant même les plus anciens exemples de textes et… l’invention de l’écriture. De la part d’un auteur aussi méticuleux, spécialiste de textes anciens, il ne peut s’agir que d’un jeu avec le lecteur, qui est corroboré par la discrétion de l’éditeur : celui-ci ne fait aucun commentaire, dans le prologue, sur la qualité du Livre Rouge, au moins sur son exceptionnel intérêt historique [69] – ce qui peut confirmer qu’il est bien fictif.

Même si le lecteur sait bien sûr que Le Seigneur des Anneaux a été écrit par Tolkien, il ne faut pas négliger le dispositif mis en place, qui ne se présente pas comme un monolithe (où texte et paratexte serviraient la fiction d’une source allographe) mais fait jouer la tension entre le fictif et l’authentique. Mais que signifie cette indécision, quelle conception de la littérature met-elle en jeu ?

III. Une réflexion sur la littérature : vérité et fiction

La tradition orale et l’écriture (les archives, le Livre Rouge) occupent une place privilégiée dans Le Seigneur des Anneaux, qui les présente – ce n’est pas très original – comme les dépositaires de la mémoire, le moyen de lutter contre l’oubli et la mort, et les garantes de la vérité. Le Seigneur des Anneaux se donne à lire comme un texte à l’allure « historique », qui raconterait des faits authentiques, conformément à l’exigence de vraisemblance qui sous-tend l’œuvre de Tolkien, qu’il théorise dans « Du conte de fées » et qui est très visible dans le texte [70] ou dans certaines déclarations, au point d’emporter totalement l’adhésion de certains [71]. C’est cet aspect qui frappe le lecteur et qui a été étudié ailleurs – pour cette raison, il ne sera pas examiné davantage ici -, mais c’est également ce qui est en réalité défait, miné, par le texte lui-même.

Il accorde, il est vrai, une grande importance au problème de la mémoire et de la conservation du passé par des chants et des récits qui célèbrent les faits héroïques des Ages antérieurs, sortes de « chansons de geste » que prolonge le Livre Rouge, puisqu’il les retranscrit en même temps qu’il rapporte l’histoire de l’Anneau [72]. Il est une sorte de monument, une mise par écrit du temps perdu, du passé fictionnel, emblématisé par exemple par les « ouvrages de métal ou de pierre » qui gardent le souvenir de Khazad-dûm, le royaume nain [73]. Il n’est d’ailleurs pas anodin que Tolkien emploie pour désigner la puissance d’évocation des récits de Tom Bombadil [74] (que rencontrent les Hobbits au Livre I du Seigneur des Anneaux) le terme de « spell », qu’il définit dans « Du Conte de fées » comme à la fois « une histoire racontée et une formule de pouvoir sur les vivants » [75].

Cette foi des personnages en la vérité de la littérature est cependant fortement nuancée par le texte, qui insiste sur ses limites, ses dangers, et valorise le non-dit.

La littérature, orale et écrite, est en effet plusieurs fois suspectée d’embellir la réalité, au point de la travestir. Un des exemples les plus frappants est la rumeur qui concerne Frodo après le dénouement de la Quête, et que rapporte une femme du Gondor : « [il] est allé avec son seul écuyer dans le Pays Noir et il s’est battu à lui tout seul avec le Seigneur Ténébreux, et il a mis le feu à sa Tour, si tu peux le croire. C’est en tout cas l’histoire qui court la Cité » [76]. « L’histoire », the tale, bien que formulée d’une façon burlesque, est conforme aux récits héroïques [77] de l’ancien temps (fictionnel), qu’elle remet indirectement en cause : si cette légende sur Frodo est infondée, pourquoi croire alors en l’histoire de Beren et Luthien, en celles d’Eärendil et de l’Anneau ? D’autres remarques apparemment anodines prennent, dans cette perspective, une valeur métadiscursive, désignant l’écart qui sépare la littérature et la « réalité ». Ainsi, lorsque Pippin exhorte dans une chanson ses compagnons à commencer leur voyage dès l’aube et qu’il est pris au mot par un autre personnage, il se récrie : « Oh, c’était de la poésie ! […] Tu as vraiment l’intention de partir avant le pointdu jour ? » [78].

C’est peut-être dans un autre texte de Tolkien, The Homecoming of Beorhtnoth, Beorhthelm’s Son, que l’on trouve la plus nette accusation contre la « poésie » et ses dangers. Il s’agit de la suite d’un poème du Xe siècle, La Bataille de Maldon [79], dont nous ne possédons que trois cent vingt-cinq vers, et qui relate la défaite de Beorhtnoth, duc d’Essex, devant les Vikings en 911. Du texte de Tolkien – dans lequel deux serviteurs recherchent la dépouille de Beorhtnoth sur le champ de bataille pour l’inhumer – et du commentaire qui suit, nous retiendrons qu’ils condamnent l’erreur de Beorhtnoth, dont l’armée est massacrée à la suite d’une décision que Tolkien critique comme « insensé[e] », dictée par la fierté, la recherche de la gloire et par une interprétation erronée du code chevaleresque [80] : influencé par la « traditionaristocratique » des contes et des poèmes, Beorhtnoth désire être lui aussi le héros d’une chanson [81], alors que la réalité de la guerre est tout autre, et que ce combat tourne à la tuerie.

Chez Tolkien les réflexions des deux serviteurs, Tídwald et Torhthelm, insistent sur cette différence entre la réalité et la fiction. Tídwald estime ainsi que les batailles du passé, même si les poètes les ont célébrées, n’étaient pas plus belles que celle-ci, qui apparaît dans toute son horreur :

Aye, that’s battle for you

and no worse today than wars you sing of,

when Fróda fell, and Finn [82] was slain.

The world weapt then, as it weeps today

you can hear the tears through the harp’s twanging

Derrière les paroles poétiques se cachent la mort, crue. A Torhthelm, qui voyage dans le chariot avec le mort :

Tídwald : The best you’ll get is the bottom of the cart

with his body for bolster.

Torhthelm : You’re a brute, Tída

Tídwald : It’s only plain language. If a poet sang you :

I bowed my head on his breast beloved,

and weary of weeping woeful slept I/ […]/

you’d not call it cruel […] [83]

Il ne faut pas la dissimuler par de belles paroles. Alors que Torhthelm chante déjà Beorhtnoth et évoque ses funérailles à venir comme celles du vainqueur de Grendel, Tídwald fait remarquer : « Beorhtnoth we bear not Béowulfhere » (« c’est Beorhtnoth que nous transportons ici, pas Beowulf » [84]).

On ne forcera pas le sens de ces indications, puisque Le Seigneur des Anneaux insiste sur la valeur de la tradition [85] ; mais il en présente une image ambivalente : alors que la littérature doit jouer son rôle de gardienne de la mémoire et de la vérité, la menace existe toujours qu’elle trahisse sa mission, sans que ce soit pourtant une fatalité. L’exemple du poème de Pippin cité plus haut nous invite d’ailleurs à la prudence dans notre analyse : la « réalité » qu’il oppose implicitement à la poésie est, en l’occurrence, fictionnelle, littéraire (puisqu’il s’agit de celle d’un monde imaginaire) ; le propos de Tolkien est donc bien complexe, insistant sur la nécessité de la littérature, que l’on doit pourtant toujours soumettre à la critique sans avoir une confiance aveugle en elle.

Nous sommes partis de la présence du Livre Rouge, œuvre fictive citée dans Le Seigneur des Anneaux, et dont la genèse nous est montrée au fil de la diégèse. Mais préciser le rapport qui existe entre les deux œuvres est presque impossible en ce qui concerne le texte, et fait apparaître, dans le cas du paratexte (si on cherche à l’attribuer au Livre Rouge ou au récit enchâssant), une tension entre ses éléments, qui nous amène à relire Le Seigneur des Anneaux autrement que comme une fiction totalement cohérente, et à remettre en question la confiance qu’il semble accorder à la littérature. Si la mise en abyme n’est, bien sûr, pas l’apanage de la littérature fantastique ou merveilleuse, elle se présente sous des formes spécifiques dans des textes où la vraisemblance, la véridicité, sont mises en jeu d’une manière plus nette que dans d’autres mises en abyme, où celles-ci cherchent parfois à servir le réalisme.

Le récit de Tolkien raconte sa naissance, mais c’est moins pour revendiquer une autonomie que pour se désigner comme fictionnel, et le rapprochement entre Le Seigneur des Anneaux et le Livre Rouge permet de dégager une réflexion sur la littérature et son rapport à la réalité, qui dépasse le cas de ce seul livre, au dispositif fictionnel proprement vertigineux, qui combine cohérence, minutie – de la fiction, des commentaires qui inventent une tradition des copies – et fragilité de l’édifice.

C’est en ce sens que l’on peut comprendre la part laissée aux énigmes et au silence, à l’hésitation, là encore, qui surprennent dans une œuvre qui semble présenter un monde extrêmement cohérent et presque complet [86] : « ce sont les histoires qui ne sont pas racontées qui sont les plus émouvantes » [87], écrit Tolkien dans sa correspondance. Il est donc préférable que « de nombreuses choses [demeurent] inexpliquées » [88] et que le lecteur soit laissé à son incertitude, devant les terres de l’Ouest que l’on aperçoit à la fin du récit, laissé à ses doutes sur l’identité de Gandalf, sur l’évolution de Frodo et ce que lui propose l’Anneau pour le soumettre, toutes ces énigmes étant peut-être symbolisées par la porte du Chemin des Morts, près de laquelle Aragorn découvre un squelette : « où mène-t-elle ? Pourquoi voulait-il la passer ? Nul ne le saura jamais » [89].


 

Bibliographie sélective

I. Œuvres de Tolkien

Cf. Tolkien. Sur les rivages de la Terre du Milieu, p. 317-319.

II. Textes et articles critiques

Cf. bibliographie sélective

III. Œuvres diverses

Beowulf, éd., traduction et commentaire d’A. Crépin, Göppingen, Kümmerle, 1991, 2 v.


, traduction et introduction de J. Queval, Paris, Gallimard, 1981, 188 p.

La Chanson de Roland, éd. de I. Short, Paris, L.G.F., 1990, 279 p. (Lettres gothiques)

Poèmes héroïques en vieil anglais, trad. et présentation d’A. Crépin, Paris, UGE, 1981, 190 p. (10/18, Bibliothèque médiévale)

ECO, U., Le Nom de la rose, Paris, Hachette, 1982, 634 p. (Livre de Poche)

MARIVAUX, Romans, texte présenté et préfacé par M. Arland, Paris, Gallimard, 1949, xiv, 1139 p. (Bibliothèque de la Pléiade)


[1] L’édition utilisée est celle du Seigneur des Anneaux (Paris, Christian Bourgois, 1972) chez Pocket, 3 v. – les références au Seigneur des Anneaux comportent le numéro du volume suivi de la page : « 3 50 » désigne ainsi Le Retour du roi, p. 50 -, mais la version en un volume (Le Seigneur des Anneaux, Paris, Christian Bourgois, 1995, 1278 p.) est également mentionnée (abréviation : Sda 1995). L’édition anglaise est The Lord of the Rings, Londres, G. Allen Unwin, 1954-1955 (1983), 1193 p. (désignée par l’abréviation LoR), l’édition originale (The Lord of the Rings, London, Allen Unwin 1954-1955, Londres, Allen Unwin, 3 v.) étant abrégée en LoR 1954. Nous citons également la correspondance de l’auteur, The Letters of J.R.R. Tolkien, éd. de H. Carpenter, Londres, G. Allen Unwin, 1981, 463 p. (abrégées en L). Certains passages de cet article renvoient à des développements de « Tolkien et le Moyen Age, ou l’arbre et la feuille », article publié dans Michèle GALLY (sous la direction de), La Trace médiévale et les écrivains d’aujourd’hui, Paris, P.U.F., 2000, pp. 121-141, ainsi qu’à un essai sur Le Seigneur des Anneaux (à paraître en 2001).

[2] 1 9. Attention au contre-sens du traducteur sur « That story… » (LoR, p. 13).

[3] J.R.R. TOLKIEN, Farmer Giles of Ham, The Adventures of Tom Bombadil, ill. de Pauline D. Baynes, Londres, Unwin Books, p. 78 (notre traduction). Il est ainsi question des poèmes « Princess Mee », « Fastitocalon »,et « Shadow Bride ».

[4] Ainsi, une formule lapidaire (« On ne relatera pas ici les récits de ces temps », 3 445, nous soulignons) expliquant la brièveté de la chronologie des Premier et Deuxième Ages renvoie implicitement à l’existence du Silmarillion, que Tolkien espérait à l’origine publier en même temps que Le Seigneur des Anneaux et qui devait contenir les réponses à toutes les questions que se posaient les lecteurs sur l’histoire ancienne de son univers (cf. L, p. 129 et Le Silmarillion, éd. de Ch. Tolkien, Paris, Christian Bourgois, 1978, 366 p. (Pocket, 1984) ; éd. anglaise : The Silmarillion, éd. de Ch. Tolkien, Londres, G. Allen Unwin Ltd., 1977, 365 p.).

[5] On songe en particulier aux Annals of ValinorAnnals of Beleriand, qui peuvent, dans leurs différentes versions (cf. The Shaping of Middle-Earth : The Quenta, the Ambarkanta and the Annals, Together with the Earliest ‘Silmarillion’ and the First Map, éd. de Ch. Tolkien, Londres, G. Allen Unwin, 1986, 380 p. ; The Lost Road and Other Writings : Language and Legends Before The Lord of The Rings, éd. de Ch. Tolkien, Londres, Unwin Paperbacks, 1989 (Hyman, 1987), 464 p.) être rapprochées de la chronologie du Seigneur des Anneaux (3 445 et suivantes). Leur publication posthume vient toutefois compliquer cette situation, puisque ces textes ne sont pas accessibles au lecteur avant 1977 (pour Le Silmarillion) ou 1980 (Unfinished Tales of Númenor and Middle-earth, éd. de Ch. Tolkien, Londres, Unwin Allen, 1980, 472 p. ; éd. française : Contes et Légendes inachevés, éd. de Ch. Tolkien, Paris, Christian Bourgois, 1982, 456 p. (1988, 3 v., Pocket)) voire très récemment, comme dans le cas de « The History of Middle-Earth », qui a paru entre 1983 et 1996, et dont seuls les deux premiers volumes sont pour l’instant traduits en français.

[6] J.R.R. TOLKIEN, Bilbo le Hobbit, Paris, Livre de Poche (Stock, 1969), 1980, p. 371 (éd. anglaise : J.R.R. TOLKIEN, The Hobbit, ill. de M. Hague, Londres, Unwin Paperbacks, 1987 (éd. originale, 1937), 290 p.).

[7] 1 309 (cf. 1 52).

[8] 1 370.

[9] 3 364.

[10] 1 318 (« I began to wonder if I should ever live to see your chapters of our story », LoR, p. 255).

[11] 2 335 (« it was like a chapter in a story of the world’s youth », LoR, p. 670).

[12] 1 311 (« Don’t adventures ever have an end ? […] Someone else always has to carry on the story », LoR, p. 248).

[13] « Cela s’est passé dans son histoire [celle de Bilbo], il y a très, très longtemps. Ceci est la mienne, et elle est maintenant terminée. » (3 227 ; « That came in his tale, long long ago. This is my tale, and it is ended now », LoR, p. 926).

[14] 2 430-431 (LoR, p. 739).

[15] 2 431. Cf. « il y a d’autres histoires que la nôtre à raconter » (3 318 ; « there’s more tales to tell than ours », LoR, p. 991, nous soulignons).

[16] Cf. 1 478, 1 480.

[17] On renverra à la définition, bien connue, qu’en donne L. Dällenbach : « est mise en abyme toute enclave entretenant une relation de similitude avec l’œuvre qui la contient[…] est mise en abyme tout miroir interne réfléchissant l’ensemble du récit par réduplication simple, répétée ou spécieuse » (L. DÄLLENBACH, Le Récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil, 1977, p. 18 et p. 52).

[18] 3 421-422 (traduction légèrement modifiée).

[19] 1 51.

[20] Sam rêve par exemple du « gros livre avec des lettres rouges et noires » qui contiendrait leur histoire (2 431)

[21] 1 9 (traduction légèrement modifiée). Le titre anglais (« There and Back Again », LoR, p. 13) est repris textuellement LoR, p. 1065.

[22] Cf. G. GENETTE, Seuils, Paris, Seuil, p. 64.

[23] « diary », « memoirs » (LoR, p. 1065).

[24] Tolkien joue de la polysémie de tale et compiled, en nous amenant cependant à privilégier une des significations : tale désigne également un récit de faits réels ou une œuvre littéraire, mais le premier sens est vieilli, tandis que celui que nous retenons est le plus fréquent.

[25] Cf. « L’arbre et la feuille », op. cit., pp. 127-135.

[26] 1 426.

[27] On songe au témoignage d’Isildur (1 337) comme au « Livre des Rois » (« The Book of the Kings ») que mentionne l’avant-propos de l’édition originale (LoR 1954).

[28] 3 439 (« this book of the days of old », LoR, p. 1101). Ces références à d’autres sources éclairent ainsi l’indication, donnée par le paratexte, que Le Seigneur des Anneaux est tiré « en majeure partie » du Livre Rouge (1 29 ; « drawn mainly », LoR, p. 26).

[29] 3 494. Le « Compte des Années », où Merry examine cette question, est signalé comme un des livres conservés à la bibliothèque de Château-Brande (1 29-30).

[30] Cf. « […] les mots et noms étranges que les Hobbits rapportent comme les ayant entendu prononcer par Sylvebarbe » (Sda 1995, p. 1225 ; LoR, p. 1165). Idem sur l’étymologie du terme hobbit (Sda 1995, p. 1233 ; LoR, p. 1172).

[31] La troisième partie de l’Appendice A, sur les Nains, tire vraisemblablement son origine d’archives hobbites, qui ont consigné les « récits de Gimli le Nain, qui demeura fort en amitié avec Peregrin et Meriadoc » (Sda 1995, p. 1103 ; LoR, p. 1070).

[32] On pourrait citer également « le Livre de Raison des Tuckborough »qui fait office d’état civil, de registre des ventes des terres, ainsi que de chronique (3 500).

[33] 1 19.

[34] 2 214 (« Ce fut Tobold Sonneur de cor… »), cf. « ce fut Tobold Sonnecor de Longoulet dans le Quartier Sud qui le premier fit pousser la véritable herbe à pipe dans ses jardins, du temps d’Isengrin II, vers l’an 1070 de la datation de la Comté » (1 19). La différence, dans le texte anglais, est celle qui sépare un document « historique » d’un dialogue au discours direct : « But all accounts agree that Tobold Hornblower of Longbottom in the South-farthing first grew the true pipe-weed in his gardens in the days of Isengrim the Second, about the year 1070 of Shire-reckoning » (LoR, p. 20, nous soulignons) à comparer avec « It was Tobold Hornblower, of Longbottom in the South-farthing, who first grew the true pipe-weed in his gardens about the year 1070 according to our reckoning. » (LoR, p. 581, nous soulignons)

[35] D’une part, la traduction de « hornblower » (cf. 1 19 et 2 214) rappelle un des passages les plus connus de la Chanson de Roland (le moment où le neveu de Charlemagne sonne du cor) ; d’autre part, 1070 est une datation plausible (quoi qu’incertaine) du texte, que « signe » un dénommé Turold, proche phonétiquement de Tobold : « Ici finit l’histoire que Turold fait connaître » (« Ci falt la geste que Turoldus declinet », La Chanson de Roland, éd. de I. Short, Paris, L.G.F., 1990, pp. 258-259 (Lettres gothiques). Voilà sans doute le genre d’allusions destinées au premier auditoire de Tolkien, les Inklings (on en relève d’ailleurs d’autres, Boromir, Merry et Gros Bolger étant, par exemple, associés à la sonnerie du cor).

[36] 1 29-30.

[37] On en trouve un écho à l’autre extrémité du récit : « ils en firent plusieurs copies, portant diverses notes et des ajouts ultérieurs » (3 487).

[38] Findegil (LoR, p. 27) devient « Findagil dans l’édition française en un volume (Sda 1995, p. 28) et « Findigal » dans la version Pocket (1 30).

[39] 1 30.

[40] Tolkien le connaissait : cf. J.R.R. TOLKIEN, « English and Welsh », in The Monsters and the Critics and Other Essays, éd. de Ch. Tolkien, Londres, Allen Unwin, 1983 (HarperCollins 1997), p. 189.

[41] Sda 1995, p. 1201 (LoR, p. 1147).

[42] 1 25. Il s’agit d’une question relative au Hobbit.

[43] Cf. « Pour présenter le contenu du Livre Rouge comme une Histoire accessible, de nos jours, à tout un chacun, il a fallu transposer – dans la mesure du possible – tout le cadre linguistique en termes actuels » (Sda 1995, p. 1228, traduction légèrement modifiée ; « In presenting the matter of the Red Book, as a history for people of today to read, the whole of the linguistic setting has been translated as far as possible into terms of our own times », LoR, p. 1167).

[44] Sda 1995, p. 1103 (LoR, p. 1070).

[45] Sir Gawain and the Green Knight, Pearl and Sir Orfeo, éd. et trad. de J.R.R. Tolkien, introd. de Ch. Tolkien, Boston, Houghton Mifflin, 1975, 149 p. (la première édition de Sir Gawain date de 1925, chez Clarendon Press).

[46] Ancrene Wisse, éd. de J.R.R. Tolkien, introd. de N.R. Ker, Oxford, Oxford University Press, 1962, xvii, 222 p.

[47] Cf. la préface des Adventures of Tom Bombadil, où il commente les poèmes contenus (fictivement) dans le Livre Rouge en choisissant de transcrire la version la plus ancienne, dont il précise la date, en remarquant l’influence de la poésie elfique dans tel passage, en décelant dans un poème la trace d’un événement historique ou des signes qui permettent d’établir son origine : gondorienne, dans le cas de « The Man in the Moon came down Too Soon » et « The Last Ship », du Pays de Bouc pour « The Adventures of Tom Bombadil » et « Bombadil goes Boating » – il donne d’ailleurs des précisions sur la géographie de cette région en explicitant certains noms propres du poème (The Adventures of Tom Bombadil, op. cit., pp. 78- 82).

[48] Cf. L. DÄLLENBACH, op. cit., pp. 78-79 : « En tant que second signe en effet, la mise en abyme ne met pas seulement en relief les intentions signifiantes du premier (le récit qui la comporte), elle manifeste qu’il (n’) est lui aussi (qu’) un signe et proclame tel n’importe quel trope – mais avec une puissance décuplée par sa taille : Je suis littérature, moi et le récit qui m’enchâsse ».

[49] Cf. l’analyse de G. Genette, qui cite, entre autres, le Roman de la momie de Gautier, Feu pâle de Nabokov, Les Faux-monnayeurs, de Gide (G. GENETTE, op. cit., p. 81).

[50] « I have in this tale adhered more closely to the actual words and narrative of my original than in the previous selection from the Red Book, The Hobbit » (LoR 1954). Il s’agit surtout pour Tolkien de marquer l’écart entre Bilbo le Hobbit, un livre pour enfants, et son nouveau récit, Le Seigneur des Anneaux.

[51] « […] the work of translating and selecting the stories of the Red Book » (LoR 1954).

[52] « Confusing (as it does) real personal matters with the ‘machinery’ of the Tale, is a serious mistake » (cité dans The Lord of the Rings (2nde éd., 1965), Boston, Houghton Mifflin, 1987, p. viii, notre traduction).

[53] Cf. par exemple « a few notes on the more important points are here collected from Hobbit-lore, and the first adventure is briefly recalled » (LoR, p. 13). La traduction ignore ce choix stylistique en introduisant un pronom : « nous réunissons ici quelques notes sur les points les plus importants de la tradition hobbite, et nous rappelons brièvement la première aventure » (1 9, nous soulignons).

[54] Voir Marivaux et Eco : « je ne suis point auteur » (MARIVAUX, La Vie de Marianne ou les aventures de Madame la Comte de ***, in Romans, texte présenté et préfacé par M. Arland, Paris, Gallimard, 1949, p. 81 (Bibliothèque de la Pléiade) ; « Le 16 août 1968 on me mit dans les mains un livre dû à la plume d’un certain abbé Vallet, Le manuscrit de Dom Adson de Melk, traduit en français d’après l’édition de Dom J. Mabillon […] », « imprimer ma version italienne d’un obscure version néo-gothique française d’une édition latine du XVIIe siècle d’un ouvrage écrit en latin par un moine allemand vers la fin du XIVe siècle » (Umberto ECO, Le Nom de la rose, Paris, Hachette, 1980 (trad. fçaise 1982), pp. 9 et 12 (Livre de Poche).

[55] Cf. G. GENETTE, op. cit., p. 259.

[56] « These Papers have a rather puzzling history. They were found after the Summer Examinations of 2012 on the top of one of a number of sacks of waste paper in the basement of the Examination School at Oxford by the present editor, Mr. Howard Green, the Clerk of the Schools » (The Notion Club Papers, in Sauron Defeated : the End of the Third Age (The History of The Lord of the Rings, part IV ; The Notion Club Papers and The Drowning of Anadûnê), éd. de Ch. Tolkien, Londres, HarperCollins, p. 155 (The History of Middle-Earth, 9). Tolkien avait envisagé plusieurs lieux pour leur découverte (les presses universitaires d’Oxford, une maison d’édition, etc. ; cf. ibid., p. 149).

[57] Finn and Hengest : The Fragment and the Episode, éd. d’A. Bliss, Londres, Allen Unwin, 1982, p. 1. Il s’agit de conférences données par Tolkien à Oxford entre 1928 et 1937, puis en 1963.

[58] Toujours dans les Notion Club Papers, Tolkien juxtapose deux interprétations inconciliables, l’une présentant le texte comme authentique (« Note to the Second Edition »), l’autre insistant sur son caractère fictionnel (« I am now convinced that the Papers are a work of fiction », ibid., p. 158), que désignent certains anachronismes (p. 187), tout comme la précision que l’on ne trouvait à Oxford, à cette époque, aucun club portant ce nom (p. 155), et que les noms des participants sont inventés ou empruntés à d’autres textes.

[59] « Pour ce qui est des sources de la plupart des faits relatés dans les Appendices suivants, ceux de A à D tout particulièrement, voir la note à la fin du Prologue » (Sda 1995, p. 1103 ; cf. LoR, p. 1070).

[60] 1 29-30. The Adventures of Tom Bombadil fait également référence aux textes contenus dans le Livre Rouge qui n’appartiennent pas à la narration principale (« the attached stories and chronicles », op. cit., p. 78).

[61] 3 439.

[62] 1 30.

[63] LoR, p. 28 (cf ibid., p. 1119). La note qui le précise n’est pas traduite en français (1 31 ; Sda 1995, p. 28).

[64] « the languages, alphabets, and calendars that were used in the Westlands in the Third Age of Middle-Earth » (LoR 1954, nous soulignons).

[65] Les références aux Appendices sont discrètes dans le prologue, alors qu’elles pourraient servir à lier ces deux éléments du paratexte : elles se font sous forme de renvoi implicite (une note sur Argeleb II par exemple, 1 13, peut être rapprochée de l’appendice A, Sda 1995, p. 1109 – cf. LoR, p. 1075) ou explicite, lorsqu’elles indiquent quels passages consulter (encore faut-il qu’elles soient traduites : les notes de LoR, p. 26 et p. 28 font défaut dans les éditions françaises, respectivement 1 29 et 1 31 et Sda 1995, pp. 27 et 28).

[66] On pourrait montrer que Le Seigneur des Anneaux est (au moins partiellement) un livre hétérogène, hybride, de ce point de vue. Tolkien a en effet constitué les Appendices par hasard en prélevant (selon quels critères ?) quelques pages parmi ses nombreuses archives ou ébauches de textes indépendants (cf. L, pp. 167 et 185), qui font penser à ceux publiés dans les Contes et Légendes inachevés, par exemple ; et leur présence engage la définition du texte, comme le montre l’opposition qu’il fait entre deux types de lecture, l’une prenant le texte dans sa globalité, l’autre ne tenant aucun compte des Appendices pour se concentrer sur le seul récit (« those people who enjoy the book as an ‘heroic romance’ only, and find ‘unexplained vistas’ part of the literary effet, will neglect the appendices, very properly », L, p. 210). Celui-ci d’ailleurs, bien qu’achevé, n’est pas figé, Tolkien ayant évoqué l’idée de supprimer des passages que la publication du Silmarillion rendrait superflus (cf. L, pp. 228 et p. 161, où il parle du chapitre du Livre II intitulé « Le Conseil d’Elrond »). Enfin, même en laissant de côté le cas encore plus clair du Silmarillion (montage posthume de fragments hétéroclites), il ne faut pas négliger la confusion ajoutée par la question des publications du Seigneur des Anneaux : les lecteurs ne parlent pas du même livre, à cause des différences qui existent par exemple entre les éditions anglaises et américaines, ou la traduction française qui ne comporte pas certaines notes, ni l’avant-propos de l’auteur (dont nous venons de constater l’importance, puisqu’il conteste les assertions du reste du paratexte, dont la lecture est faussée s’il est incomplet), pas plus que les Appendices dans leur intégralité jusqu’en 1986 – leur publication séparée est peut-être une preuve supplémentaire de cette hétérogénéité (Le Seigneur des Anneaux. 4/ Appendices et index, trad. de Tina Jolas, Christian Bourgois, 1986, 222 p.).

[67] Parmi la masse des textes disponibles (écrits par Tolkien et attribués à d’autres auteurs), certains sont utilisés, mais abrégés (Sda 1995, p. 1103 ; LoR, p. 1070).

[68] Même s’il ne faut pas considérer que la Terre du Milieu doit être « médiévale » dans tous ses détails, le degré d’avancement technique (dans de multiples domaines) peut être rapproché de cette période de notre Histoire ; or la page de titre telle qu’elle apparaît dans Le Seigneur des Anneaux (3 421) ne date que de la fin du XVe siècle. N’est-ce pas un moyen de désigner ce Livre comme un manuscrit fictionnel ?

[69] Que l’on songe en comparaison aux Notion Club Papers, dont la présentation est semblable sur plusieurs points – description matérielle (« They were in a disordered bundle, loosely tied with red string. The outer sheet, inscribed in large Lombardic capitals […] », op. cit., p. 155), observation sur l’écriture et sur l’auteur (p. 156) -, mais qui sont jugés particulièrement intéressants (« […] attracted the notice of Mr. Green, who removed them and scrutinized them. Discovering them to contain much that was to him curious and interesting, he made all possible enquiries, without result », p. 155), bien que vieux d’une soixantaine d’années seulement.

[70] Sur ce point (minutie, cohérence, moyens employés pour accréditer l’univers fictionnel), cf. E. LITTLE, The Fantasts, Avebury, Amersham, 1984, p. 18, et « L’Arbre et la feuille », op. cit., pp. 130-132.

[71] « You have at any rate paid me the compliment of taking me seriously ; though I cannot avoid wondering whether is is not ‘too seriously’, or in the wrong directions. The tale is after all in the ultimate analysis a tale, a piece of literature, intended to have literary effect, and not real history » (lettre de 1954 à P. Hastings, L, p. 188).

[72] On songe au lai de Gil-Galaad, au récit des « Temps Anciens » par Aragorn, aux chants de Bombadil, etc.

[73] « nous avons fixé l’image de ces montagnes dans bien des ouvrages de métal ou de pierre, et dans bien des chansons et des contes » (Gimli, 1 376 : « we have wrought the image of those mountains into many works of metal and of stone, and into many songs and tales », LoR, p. 300).

[74] Cf. 1 181 (« […] as if, under the spell of his words, the wind had gone », LoR, p. 146), 1 183 (« The hobbits under the spell of Tom’s words […] », LoR, p. 147).

[75] Faërie, Paris, Christian Bourgois, 1974, p. 161 (1992, Pocket).

[76] Ioreth, 3 334 (« one of them went with only his esquire into the Black Country and fought with the Dark Lord all by himself, and set fire to his Tower, if you can believe it. At least that is the tale in the City », LoR, p. 1002).

[77] Voir T. SHIPPEY, The Road to Middle-Earth, Londres, George Allen Unwin, 1982, p. 157.

[78] 1 149 (« Oh ! That was poetry[…] », LoR, p. 120).

[79] On trouvera ce texte dans Poèmes héroïques en vieil anglais, trad. et présentation d’A. Crépin, Paris, UGE, 1981, 190 p. (10/18, Bibliothèque médiévale).

[80] The Homecoming of Beorhtnoth, Beorhthelm’s Son, in Tree and Leaf, Londres, Unwin Paperbacks, 1982, p. 150.

[81] Ibid., pp. 171 et 163.

[82] Héros de récits nordiques et anglo-saxons (cf. par exemple Finn and Hengest, op. cit., et Beowulf, traduction et introduction de J. Queval, Paris, Gallimard, 1981, 188 p.).

[83] Ibid., p. 165.

[84] Ibid., p. 158 (nous traduisons).

[85] Sur l’importance des traditions « qui viennent des années lointaines » (1 495), cf. le chapitre « Fantasy et fiction » de l’essai sur Le Seigneur des Anneaux à paraître en 2001.

[86] Id.

[87] « it is the untold storiesthat are the most moving » (L, p. 110).

[88] « it is better not to state everything (and indeed it is more realistic) » (L, p. 354)

[89] 3 74.

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