Parution, le 7 mai, de La Légende de Sigurd & Gudrún et des Lettres de J.R.R. Tolkien au format poche, chez Pocket.
Pour mémoire, ces textes sont disponibles en grand format (chez Bourgois éditeur), par exemple sur cette librairie en ligne.
En archive, je vous propose de lire cet article de J. Baudou consacré aux Lettres de Tolkien :
La fabrique du mythe
LE MONDE DES LIVRES | 16.02.06 | 12h17 • Mis à jour le 16.02.06 | 12h17
John Ronald Reuel Tolkien, l’auteur du Seigneur des anneaux, entretint une large correspondance. Rassemblées par son biographe, Humphrey Carpenter, 354 lettres écrites entre 1914 et 1973 ont été récemment publiées. La plupart d’entre elles couvrent la période 1937 (date de la parution de Bilbo le Hobbit)-1969, date à laquelle Le Seigneur des anneaux accéda au statut de livre-culte. Le succès considérable aux Etats-Unis des éditions paperbacks du roman en 1965 engendra sinon la création du moins l’autonomisation d’un genre qui fait florès aujourd’hui : la fantasy.
La majeure partie de ces lettres ont donc été écrites pendant la rédaction du Seigneur des anneaux et la décennie qui a suivi sa publication en 1954-1955. Le compilateur n’a retenu qu’exceptionnellement des lettres abordant le domaine de la vie privée. Certaines ont à voir avec la carrière universitaire du professeur Tolkien. Le plus grand nombre d’entre elles concerne son oeuvre et plus particulièrement cet énorme roman édité sous la forme – fausse – d’une trilogie, qui est sans conteste possible l’une des oeuvres phares de la littérature du XXe siècle.
Pour le lecteur de Tolkien, l’intérêt de cette correspondance est double. Il peut y suivre, d’abord, la longue gestation de The Lord of The Rings, dont la rédaction commença pour répondre à l’invite de l’éditeur Unwin de donner une « suite » à Bilbo le Hobbit. Mais Tolkien s’aperçut très vite que ce nouveau roman ne s’adressait pas au même public que Bilbo, qu’il s’agissait d’une oeuvre pour adultes. Plus tard, il avouera à l’une de ses lectrices : « Cela demeure un plaisir non démenti de voir confirmée ma propre conviction : que le « conte de fées » est en réalité un genre pour adultes, et pour lequel il existe un public affamé » (p. 297).
Il peut y trouver trace des questionnements auxquels Tolkien s’est trouvé confronté, notamment dans la correspondance qu’il entretint avec son fils Christopher. « Il y a deux émotions totalement différentes : l’une qui m’émeut au plus haut point et que j’éprouve quelque difficulté à évoquer – la sensation déchirante du passé disparu ; l’autre, une émotion plus « ordinaire », le triomphe, le pathos, la tragédie liée aux personnages. Celle-ci, j’apprends à l’obtenir, au fur et à mesure que j’apprends à connaître mes créatures, mais elle ne se trouve pas aussi près de mon coeur, et elle m’est imposée par le dilemme fondamental de la littérature : une histoire doit être racontée, ou il n’est pas d’histoire, mais les histoires les plus émouvantes sont celles que l’on ne raconte pas. Je pense que « Celebrimbor » t’émeut parce qu’il véhicule immédiatement la sensation qu’existent à l’infini des histoires à raconter : des montagnes au loin que l’on n’escaladera pas, des arbres lointains dont on ne s’approchera jamais » (p. 162-163).
C’est dans la façon dont Tolkien a résolu ce « dilemme fondamental de la littérature » que réside sans doute une part du pouvoir de fascination de son oeuvre : « Une partie de l’attrait du Seigneur des anneaux est due, je pense, aux aperçus d’une vaste histoire qui se trouve à l’arrière-plan : un attrait comme celui que possède une île inviolée que l’on voit de très loin, ou des tours d’une ville lointaine miroitant dans un brouillard éclairé par le soleil. S’y rendre, c’est détruire la magie, à moins que n’apparaissent de nouvelles visions inaccessibles… » (p. 468).
VASTE PROJET
Le second intérêt de ce recueil, c’est que Tolkien ne fut point avare de commentaires sur son oeuvre. « Il fut une époque où j’avais dans l’idée de créer un ensemble de légendes plus ou moins reliées, allant du grandiose et cosmogonique au conte de fées des romantiques, que je pourrais en toute simplicité dédier : à l’Angleterre, à mon pays » (p. 209).
Le Seigneur des anneaux participe de ce vaste projet. C’est pour cette raison que la Terre du milieu n’est pas vraiment un monde secondaire : « Le décor de mon récit est cette terre, celle sur laquelle nous vivons à présent, mais la période historique est imaginaire » (p. 389).
Tolkien livre également un certain nombre de clés. Il félicite Naomi Mitchinson de percevoir son roman « comme une forme élaborée de jeu consistant à inventer un pays ». « Jeu sans fin », précise-t-il, qui le conduisit à la rédaction des célèbres appendices. Il réfute les critiques qui résument le roman à « une simple lutte banale entre le Bien et le Mal ». Il affirme : « Le Seigneur des anneaux est bien entendu une oeuvre fondamentalement religieuse et catholique » ; ce qui invite à décryptage. Il confesse : « Pour un conteur, un voyage est un procédé merveilleux. Il fournit un fil solide sur lequel une multitude de choses qu’il a en tête peuvent être attachées pour produire une chose nouvelle, variée, imprévisible, et pourtant cohérente » (p. 339). Il insiste sur le rôle fondamental des langues dans sa création romanesque : « L’invention des langues est la fondation. Chez moi, le nom vient en premier et l’histoire suit. »
Il parle aussi de son amour pour les plantes et les arbres. A propos d’un livre sur les fleurs du Cap, il écrit : « Je n’ai rien vu qui rappelle immédiatement les niphredil, elanor et alfirin : mais cela, je crois, parce que ces fleurs imaginaires sont éclairées par une lumière que l’on ne pourrait voir dans une fleur vivante. » Cette lumière, n’est-ce pas ce qui émane de tout Le Seigneur des anneaux ?