Le poème inédit de J.R.R. Tolkien, The Fall of Arthur, paru en anglais chez HarperCollins le 23 mai 2013, est sorti en français le 19 septembre, sous le titre La chute d’Arthur, dans une traduction de Christine Laferrière.
Quelques difficultés d’approvisionnement sont à noter : le livre a été réimprimé mi-octobre, et doit être de nouveau disponible.
Voir l’annonce sur le site de l’éditeur anglais, ainsi que la couverture .
L’éditeur anglais a, depuis, mis en ligne une page plus complète.
Voici la 4e de couverture (mise à jour du 20/8/2013), à lire sur le site des éditions Bourgois :
Dans un magnifique poème de mille vers, J.R.R. Tolkien propose une version sombre de l’histoire du roi Arthur, roi guerrier et conquérant : à la fidélité de Gauvain répond la trahison de Mordret, envoûté par une Guenièvre énigmatique, elle-même objet de passion pour un Lancelot tourmenté.
Christopher Tolkien éclaire ensuite ce texte, qui est longtemps resté un mystère, en montrant comme il dialogue avec les versions médiévales anglaises et françaises de la légende arthurienne, mais aussi avec le monde du Silmarillion.
Bien qu’incomplet, le poème, présenté ici dans une forme achevée, mais aussi dans son évolution, marquera le lecteur par sa force, sa dimension tragique, et les liens qu’il suscite avec l’univers inventé par Tolkien.
Edition établie par Christopher Tolkien
mise à jour du 23 mai : extraits de l’avant-propos de Christopher Tolkien à lire en ligne sur le site du Tolkien Estate.
**Présentation de la Chute d’Arthur :
1/ Présentation par Christine Laferrière, traductrice de l’ouvrage
La Chute d’Arthur est l’une des oeuvres les plus surprenantes de J.R.R. Tolkien. Conçue au début des années 1930 et délaissée par la suite, elle nous offre une approche tout à fait singulière de la légende arthurienne, tant par son contenu que par sa forme : l’auteur s’inspire de la « matière de Bretagne » en recourant à la poésie allitérative anglo-saxonne constatée dans les tout premiers poèmes anglais. Dans un déploiement d’images aussi bien sonores que visuelles, nous voyons revivre avec force des personnages légendaires considérés aussi dans leur dimension psychologique : Guenièvre l’infidèle, Mordret l’usurpateur, Lancelot tiraillé entre ses amours et son devoir, Gauvain l’intrépide et Arthur lui-même, invincible et magnanime.
Le poème, divisé en cinq chants, s’ouvre sur le départ d’Arthur à l’Est dans le but de conquérir les peuples barbares et de sauver « le royaume de Rome ». S’ensuit la trahison de Mordret, qui usurpe la couronne confiée par Arthur mais échoue ici à séduire la reine Guenièvre : elle n’a d’yeux que pour Lancelot. Arthur rentre en apprenant le malheur survenu en son royaume et qui divise à jamais la Table Ronde. L’annonce de son retour est marquée par une grande bataille, durant laquelle périssent de preux chevaliers. Si Guenièvre retrouve la faveur d’Arthur, Lancelot est banni. Le poème s’achève au moment où le roi, à bord de son navire, s’apprête à fouler de nouveau le sol de son pays.
La forme concise exigée par la métrique anglo-saxonne (et rendue ici en alexandrins allitérés) est fort propice à la description des épisodes privilégiés par JRR Tolkien, tant elle réussit à créer des images sonores aussi bien que visuelles ; l’arrivée de Mordret dans la chambre de la reine, le choc des armes dans la bataille, la beauté même des personnages n’en sont que quelques exemples. Elle n’exclut d’ailleurs pas une mise en valeur de la dimension psychologique des héros : la reine Guenièvre, qui aime Lancelot et lui seul autant que ses propres trésors d’or et d’argent ; Lancelot, déchiré par des conflits de loyauté ; Mordret, machiavélique avant l’heure ; Gauvain, modèle de pureté et de vaillance ; Arthur, d’abord trahi, qui finit par s’interroger sur les bénéfices d’une nouvelle bataille sur le point d’éclater.
Grâce à une minutieuse analyse des travaux préparatoires dont il dispose, Christopher Tolkien est parvenu à reconstituer les intentions de l’auteur concernant la suite du poème et à établir la relation existant, dans l’imaginaire de son père, entre la légende arthurienne et les éléments constitutifs de l’univers qu’il s’apprêtait à créer : d’Avalon à Tol Eressëa, d’Arthur à Eärendel, les liens sont plus subtils et les analogies, plus nombreuses qu’on le croirait de prime abord. Si JRR Tolkien délaissa par la suite la légende arthurienne, il n’en retint pas moins quelques traits essentiels à l’élaboration de sa propre mythologie.
2/ Claire Jardillier dans le Dictionnaire Tolkien (CNRS éditions, parution 11 octobre 2012) :
« La chute d’Arthur » (« The Fall of Arthur ») est un poème composé par Tolkien dans les années 1930. Il est demeuré inachevé. C’est à Humphrey Carpenter qu’on doit le peu que l’on sait de cette œuvre (p. 155-156). Tolkien l’évoque dans une lettre à son éditeur américain, Houghton Mifflin Co., une vingtaine d’années plus tard, comme preuve de son attrait pour la versification allitérative, forme adoptée pour son poème arthurien (L n°165). On peut s’étonner de l’existence même de ce poème, certes inabouti, tant on a fait grand cas du soi-disant dégoût de Tolkien pour les mythes celtes en général ou la légende arthurienne en particulier (voir L n°19 et 131). Néanmoins, à y regarder de plus près, il s’agit surtout d’une incompatibilité d’humeur entre ces corpus et les envies créatives de l’auteur: il juge les mythes celtes trop brouillons, sans rime ni raison, et la légende arthurienne pas suffisamment « anglaise » (au sens où elle n’est pas enracinée dans une langue et dans un lieu, Tolkien accordant beaucoup d’importance à ces relations) pour servir de cadre ou d’inspiration directe à sa Terre du Milieu. Mais sa vaste connaissance de la littérature médiévale et son goût pour le vers allitératif ne pouvaient manquer de le distraire et de l’égarer momentanément sur les terres arthuriennes ‒ voire durablement, si l’on songe que le sujet est toujours présent à son esprit vingt ans après sa mise en chantier. Nombre de critiques ont d’ailleurs souligné les liens qui unissent la Matière de Bretagne et Le Silmarillion, Le Seigneur des Anneaux ou Le Hobbit, sans parler d’autres textes, comme les Lais du Beleriand, ou Le Fermier Gilles de Ham.
A défaut du fond, mélange de mythes d’origine celtique et de littérature française importée par l’envahisseur normand, la forme de « La chute d’Arthur » est donc bien typiquement anglaise et, qui plus est, parfaitement maîtrisée par Tolkien. La tradition allitérative est en effet bien attestée au Moyen Age en Angleterre : le poème dit Alliterative Morte Arthure, composé aux alentours des années 1400 en moyen-anglais, est l’un des nombreux exemples du regain d’intérêt pour cette forme, dont le rythme rappelle la poésie vieille-anglaise, tout au long du XIVe siècle. On parle alors d’Alliterative Revival, de renaissance allitérative. C’est la source d’inspiration principale de Tolkien pour son poème. Sir Gawain and the Green Knight, dont on sait tout l’intérêt que lui portait Tolkien, est lui aussi un poème allitératif des années 1400. Gawain tient d’ailleurs un rôle important dans « La chute d’Arthur ».
Etant données ses racines médiévales, on peut s’étonner du vocable choisi par Tolkien pour le titre de son poème : pourquoi « chute » et non « mort » ? Les modèles médiévaux ne manquent pas qui annoncent clairement la triste fin du roi : Le Morte Arthure allitératif, Le Morte Arthur dit strophique (« stanzaic »), lui aussi à compter au nombre des sources du poème tolkienien, Le Morte Darthur de Thomas Malory, La mort le roi Artu du grand cycle français du Lancelot-Graal… Néanmoins, est toute aussi nette dans ces textes comme dans d’autres la tradition, d’abord orale puis reprise par les chroniqueurs, selon laquelle le roi Arthur ne meurt pas mais est plutôt emporté à Avalon pour y être soigné de ses blessures. Cette absence de conclusion s’assortit souvent d’une prophétie qui annonce le retour du roi, dans un futur indéterminé mais caractérisé par le danger, voire la destruction imminente du royaume, nécessitant l’intervention d’un chef rédempteur, salvateur, messianique. On retrouve là d’autres motifs chers à Tolkien. On se rappelle également que l’idée d’une traversée vers une île lointaine, où certains élus peuvent séjourner auprès des Elfes, n’est pas étrangère à la création tolkienienne. Arthur ne meurt donc pas plus que Frodo, même si Tolkien distingue ces deux traversées: le retour d’Arthur, en Terre du Milieu, serait chose impossible (L n°154). De ce point de vue, il s’agit donc bien d’une chute, celle d’un royaume brutalement privé de son chef, et non d’une mort. On peut comprendre qu’un philologue ait eu à cœur d’employer le mot juste.
L’auteur a pu également souhaiter se distinguer de ses sources médiévales, comme le suggère Verlyn Flieger (p. 34). Tout comme le Morte Arthure et le Morte Arthur, Tolkien exclut le Graal du récit, qui s’articule des campagnes militaires continentales d’Arthur à son affrontement final avec Mordred. Cependant, « La chute d’Arthur » narre les exploits guerriers d’Arthur comme le Morte Arthure, mais prend la peine de dresser le portrait d’une Guenever en femme fatale, ce qui serait plus proche du Morte Arthur, où les amours adultères de la reine (Gaynor) et de Lancelot sont la cause directe de la mort du roi. C’est d’ailleurs le traitement de ce personnage qui rend le poème tout à fait singulier dans l’œuvre de Tolkien: sa Guenever est effectivement l’une des rares femmes qui soient clairement un objet de désir sexuel – avec Éowyn, convoitée par Gríma, Lúthien, désirée par Morgoth ou Celegorm…
A partir de sources identifiables, Tolkien réinvente donc « sa » légende arthurienne, ajoutant son nom à la longue liste des réécriveurs de la Matière, du Moyen Age à nos jours.
Claire Jardillier.
Cette notice se trouve aux p.102-103 du Dictionnaire Tolkien